Jean-Christophe DEBAR Direction Général Fondation FARM
Présentation de l’invité par Nicolas ERNOULD. Modération de la conférence par Andry RABETOKOTANY et Shams RADJABALY.
Chiffres clés
Selon notre estimation, Madagascar aurait besoin de 2,8 millions de tonnes de riz par an
La production de riz à Madagascar s’élève à 2,4 millions de tonnes
Avec un déficit de 20% (Besoin / Prodution)
1/ Réaction des intervenants suite à la vidéo introductive
Jean-Christophe Debar : Une personne “sous-alimentée” est une personne ne parvenant pas à subvenir à ses besoins caloriques. Chaque année, la FAO estime le nombre de sous-alimentés dans le monde à 2 milliards, si l’on prend en compte les carences en vitamines et oligo-éléments.
Le cas de Madagascar est alarmant : 35% de la population malgache est sous-alimentée, contre 25% de la population africaine et 10% de la population mondiale.
Thomas Ribémont :Il existe différents types de malnutrition : chronique, sévère, et aiguë. On estime aujourd’hui à 8,7 millions le nombre de malnutris à Madagascar, dont 850 000 en situation de malnutrition aiguë ayant donc besoin d’une prise en charge humanitaire immédiate. Les chiffres associés à la faim ne traduisent pas l’impact généré par la dimension politique, or cette dimension politique est prépondérante lorsqu’on aborde la sécurité alimentaire. Par ailleurs, des sujets-clés et connexes à la faim doivent être pris en considération, tels que l’accès à l’eau, au système de santé...
2/ Pourquoi souffre-t-on encore de la faim aujourd’hui ?
Jean-Christophe Debar : Si, de manière générale, la proportion de sous-alimentés est en baisse constante depuis plusieurs années (de 15% à 11% entre 2005 et 2013), la sous-alimentation chronique a, elle, augmenté en 2016. Cela pourrait s’expliquer par des facteurs conjoncturels comme le climat — l’Afrique de l’Ouest souffre, ces dernières années, d’une sécheresse ayant un impact sur la production alimentaire et sur l’accès à l’eau — ou l’insécurité engendrée par la recrudescence des conflits armés et des troubles politiques.
La faim est un problème politique. Cette insécurité alimentaire est portée par : (1) l’accès aux ressources alimentaires et (2) la disponibilité alimentaire. L’accès aux ressources alimentaires est fonction du taux de pauvreté (protection sociale, pouvoir d’achat) et du prix des biens alimentaires. Ceux-ci sont plus élevés en Afrique qu’ailleurs, et dépendent de la productivité des producteurs (agriculteurs et autres acteurs du secteur alimentaire). Quid de la productivité des agriculteurs et de leurs revenus ? La disponibilité alimentaire n’est pas un sujet sur le plan mondial, mais on note l’existence de disparités d’approvisionnement en nourriture dans les différentes régions du monde.
Thomas Ribémont : Le milieu rural est le plus affecté par la malnutrition, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, pour une raison politique : on observe, par exemple, que la carte de la malnutrition se superpose avec la carte des conflits ; de même, la corruption, qui facilite l’accaparement des richesses et le détournement des aides, mène à une logique d’instrumentalisation de la faim. Ensuite pour une raison environnementale : les changements climatiques sont la cause de sécheresses et de catastrophes naturelles (cyclones, inondations). Enfin, pour diverses raisons propres à ce milieu : les épidémies (choléra, peste…), l’absence d’accès à des soins médicaux appropriés (prix, distribution), ainsi qu’à l’eau, des systèmes d’assainissement souvent manquants, peu d’accès à l’éducation, une répartition territoriale inégale et une absence de droits fonciers.
3/ Quelles sont les perspectives pour 2030 ? Les leviers pour lutter contre la faim
Jean-Christophe Debar : Il faut tout d’abord poser le contexte. 2030 est l’année, déterminée par l'Organisation des Nations Unies (ONU), où les Objectifs de Développement Durable (ODD) devront être atteints. En 2050, la terre sera peuplé de 9,5 milliards d’individus, et la moitié de cette population vivra en Afrique.
Le modèle de développement agricole occidental est inadapté en Afrique. L’Afrique a besoin de construire son propre modèle.
Nous devons nous appuyer sur un modèle d’agriculture intensive et durable à travers l’utilisation de nouvelles méthodes, la prise en compte de la qualité des sols et la productivité des petits producteurs (capacité à produire plus avec moins d’intrants). Ce qui suppose : (1) un meilleur accès aux intrants (marché), (2) une meilleure organisation des producteurs (en coopératives par exemple) et (3) une plus grande importance donnée à la Recherche et Développement (R&D).
Ce nouveau modèle passe notamment par la construction de filières : en mettant en place une contractualisation, de la production à la distribution, protégeant à la fois les entreprises et les agriculteurs.
Enfin, l’Etat joue un rôle dans la recherche et la mise en application de ce nouveau modèle. En effet, il peut : (1) réduire la dépendance aux marchés internationaux, (2) favoriser la production locale, (3) mettre en place un système d’assurance agricole pour pallier aux pertes liées aux catastrophes naturelles — l’Afrique est l’un des rares continent à ne pas avoir recours aux assurances agricoles — et (4) limiter le coût des transports.
La faim est aujourd’hui banalisée et considérée comme un phénomène intraitable : il faut changer le référentiel de la faim, à travers la politique et les médias.
Un changement de culture au sein des ONG est également nécessaire : elles doivent être capables de s'adapter aux us-et-coutumes locaux et accorder plus de place aux sciences sociales, et prendre en compte les réalités du terrain. Il faut “désoccidentaliser” l’humanitaire : (1) en intégrant davantage les communautés locales, en s’appuyant sur elles, et (2) en donnant des responsabilités aux collaborateurs locaux au sein des ONG. Pour lutter contre la faim, il est alors nécessaire de développer une approche constructive (en travaillant sur plusieurs secteurs tels que l'éducation, la santé, les infrastructures...), organisée et intégrant des interlocuteurs locaux.
Enfin, il faut innover aussi bien dans l’approche que dans le types d’acteurs concernés. Par exemple, en développant une logique de partenariats des ONG avec le secteur privé.